samedi 7 février 2015

Sahara Iroise


C'est l'heure où les phares du Stiff, de la Jument, de Nividic, de Kereon et du Créac'h s'assemblent et broient tout le noir alentour pour traverser puis cisailler d'une simple lame rouge, jaune ou blanche des murs de brumes ou de pluies serrées. Ils jettent les feux de leur lanterne au-delà de la ligne d'horizon, loin, de part et d'autre de ce rail invisible conçu pour guider les cargos, pétroliers et porte-conteneurs qui viennent ou s'en retournent, certains du Panama ou de mer de Chine, d'autres de New York ou de Singapour. Tous ont coché sur leur feuille de route une escale rapide (chargement/déchargement) dans les parages, près des docks illuminés de Rotterdam, de Hambourg ou de Valence … 
 
C'est aussi l'heure où d'autres lumières clignotent au ras de l'eau, ricochant sur les premières vagues avant de se perdre dans des rouleaux d'écume. Certains disent que ces petits braseros à la mèche si vite éteinte sortent des amas de bois et de ferraille rongés qui jalonnent le pourtour de l'île. Il y a dans leurs mots, entrecoupés de longs silences, durant lesquels ils boivent un dernier verre ou rallument un mégot qui dure, des noms de disparus, proches ou lointains qui, selon eux, reviennent du fond des mers vriller à leur façon la mémoire poreuse de ceux qui ont failli en ne prenant pas la peine de détacher un canot pour descendre, en leur honneur, un casier lesté, comprenant une bourriche d'huîtres accompagnée d'un litre de muscadet de Sèvres et Maine, à l'endroit même où, dans les remous et les courants contraires, leur bateau a chaviré puis coulé, par gros temps, il y a dix, vingt ou cent ans. 
 
"Sahara Iroise est un livre où les voix se mêlent mais surtout se répondent. Quand j'ai soumis le projet à Jacques Josse (poète et prosateur), Alain Le Beuze (poète) et Maya Mémin (artiste), l'idée s'imposa que les trois voix devaient créer leur ligne en co-résonance, en tout cas jaillir ensemble. Chacun joue et écrit sa partie, et le but est cette friction d'imaginaires, sorte de cadavre exquis à trois têtes, de marée à trois mouvements." Alain Le Saux 
 
Sahara Iroise
Textes d'Alain Le Beuze et de Jacques Josse sur une partition graphique de Maya Mémin
160 x 230 cm, broché, tiré à 600 exemplaires sur Munk 115 g. 64 pages. Illustrations en couleur. Septembre 2014. Maquette de Didier Pavois. Imprimerie Cloitre, Saint-Divy
ISBN : 9782919353026.  17 €







Entre les mains, entre les sommeils


 Il serait banal d’écrire que chaque photographie de Jean-Paul SENEZ raconte une histoire. Au vrai, elles fourmillent d’histoires, elles en sont tissées, car son oeil excelle à « composer », comme à saisir au vol des conversations, et en restituer « l’air », le texte transparent, la mélodie. Là est le « vivant » de son travail (qui n’est pas un critère, finalement), me semble-t-il, qu’en le regardant on éprouve ce sentiment d’entrer dans un espace qui vibre de voix, aux timbres différents, de murmures, d’apartés, de monologues, et de pauses, de concentrations, d’attentions (souffle suspendu) et de joies criantes. Même le Tristan dormeur semble parler dans son sommeil, ou retenu alors qu’il allait proférer. Et mieux, j’entends son souffle, je berce mon inquiétude à son haleine, je m’enveloppe de la poussière de ciment et de la terre sèche qui lui font un lit.

Entre les mains, entre les sommeils
Photographies de Jean-Paul SENEZ ; texte d’Alain LE SAUX.
Mise en pages et travail graphique de Didier PAVOIS.
Imprimé à Brest, imprimerie PAM. 24 pages ; format 24 x 16.5 cm à l'italienne.
ISBN 978-2-919353-01-9 ; 12 euros

vendredi 6 février 2015

Laisse entrer les ombres



 "Kathy Diascorn se promène dans cette tension entre l’intime, la patience, l’apprivoisement de la lumière, et le chaos éclatant, le saisissement, le flash dégoupillé du présent, la surprise. Tel est le sens de ce cheminement, bien plus malaisé qu’il n’y paraît, d’un ludisme de promeneuse à l’avenant dévouée. Qui désire que l’oeuvre sorte, infigée, donnée en un éphémère qui serait miroir de notre éphémère, comme une marche suit une marche, un arbre, un autre arbre, et s’y profilent l’escalier, la forêt."


Laisse entrer les ombres œuvres et photographies de Kathy DIASCORN 2010 ; texte d’Alain LE SAUX. Mise en pages et travail graphique de Didier PAVOIS. 19 pages : ill., couv. ill. ; 24 cm.
Imprimé à Brest, imprimerie PAM. ISBN 978-2-919353-00-2 ; 10 euros.

Ne pas océaniser



















Poésie et peinture. Un livre à quatre mains

Le livre d'Alain Le Saux et Kathy Diascorn a été édité à 150 exemplaires dont 100 numérotés. Ne pas océaniser: tel est le titre du livre réalisé par Alain Le Saux, pour le texte, et Kathy Diascorn, pour la peinture. Tous deux participent aux portes ouvertes d'ateliers d'artistes qui se poursuivent aujourd'hui. « La poésie m'intéressait depuis longtemps, lui regardait bien la peinture», explique Kathy Diascorn, en regardant Alain Le Saux. C'est ainsi que le contact, noué au départ dans un cours de tai-chi, s'est développé. Aucun des deux n'avait réalisé jusque-là un livre d'artiste. Il a donc fallu mûrir quelque chose ensemble, trouver un rythme, rencontrer l'imprimeur idoine, travailler aussi le graphisme avec Didier Pavois. La matière première existait. Alain Le Saux avait un texte, en partie inspiré d'un séjour à Tétouan, cité du nord du Maroc. «Un recueil de ruptures avec le passé, l'autre, soi», explique-t-il. Alain Le Saux trouve aussi des points communs entre Tétouan et Brest, mais aussi Rosario (Argentine), où il a été en résidence, suffisamment pour envisager un travail sur « les villes mélancoliques ».
« Collisions créatrices » De son côté, Kathy Diascorn est venue pour le livre avec une série de photos et d'images réalisées en 2006, autour des brise-lames qui protègent la ville de Saint-Malo. Les reflets dans l'eau et le goémon, notamment, y alimentent une sensation d'insaisissable. Le travail majeur, entre les deux artistes, a été celui d'épuration. «On a envie d'en mettre beaucoup, le plus dur est d'enlever, de laisser juste ce qu'il faut», commente Kathy Diascorn. «Notre souhait n'était pas de faire joli, de ne pas déranger», ajoute Alain Le Saux. Ne travaillant pas sur une commande mais par envie, tous deux ont plutôt essayé d'arriver à des « collisions créatrices ». Chacun des 150 exemplaires, un bel objet au final, diffère aussi à sa façon.  Le titre Ne pas océaniser s'est imposé aux auteurs: c'est ce qui figurait en toutes lettres sur un bateau ne se trouvant pas loin de l'Abeille-Bourbon, au port. La couverture du livre renvoie à la texture riche de la voile. Pour la mettre à sa main, Kathy Diascorn a beaucoup utilisé du noir de vigne et du bleu de Prusse.
Vincent Durupt © Le Télégramme 


                  L’exil est un soleil voilé
                  L’exil joue à saute-verbe
                  entre mémoires en flammes

                  L’exil débusque un grillon
                 dans la voix d’un muezzin

                 L’exil vague dans la vague
                 fond d’oeil fond de bouche
                 débusqué à un coin de rue

                Sur une table de café
                dans le tournis des mouches

                à jouer avec l’ombre
                qui avance entre les voix

                 À jouer avec le serveur
                qui virevolte derrière sa digue
                À jouer avec l’exil
                et ses cartes graisseuses

                et ses osselets blancs et rouges
                L’eau des exils sur les peaux
                des tambours muets
                dans le jaune blafard des rues
                couchées, dans le terne des bonsoirs
                jetés yeux fermés

                L’exil non pas ce licol des bêtes
                perdues
               non pas ces foyers de cendre froide

               Comment dire : j’exècre les vivants rivés ?

               Comment se survivre en ex-il ?


 
Ne pas océaniser Livre d’artiste, août 2009, tiré à cent cinquante exemplaires, dont cent numérotés à la main ; ouvrage non broché, 44 pages, 340 X 250 mm, avec empreintes à l’acrylique, collages et calques quadrichromiques de Kathy DiASCORN, sur un texte d’Alain LE SAUX.
Imprimerie Cloitre, Saint-Divy, 70 €